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Quant la fille du matin, l’Aurore aux doigts de rose, parut, le Cyclope allumait du feu et trayait bien méthodiquement ses belles brebis ; puis il remettait chaque petit sous sa mère. Cette besogne vite achevée, il saisit encore deux de mes compagnons et prépara son repas. Une fois repu, il poussa hors de la grotte les troupeaux gras, après avoir soulevé sans effort la masse qui fermait l’entrée. Après quoi il la remit en place, comme on ferait du couvercle d’un carquois ; et il entraîna, au son puissant d’une flûte, ses troupeaux gras vers la montagne. Je restai là, bâtissant en moi-même un plan terrible ; je voulais me venger, pourvu qu’Athèna me donnât la gloire du succès.
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« Cyclope, tiens, bois du vin, maintenant que tu as mangé de la chair humaine, pour savoir quel bon breuvage contenait mon navire : c’est la libation que je t’apportais, pour voir si tu aurais eu pitié de moi et me renverrais dans ma patrie. Mais ta fureur n’est plus supportable. Malheureux, comment désormais un homme, et ils sont nombreux, pourrait-il venir te voir, quant tu nous as si mal traités ? »
Je dis ; il prit la coupe et la vida ; sa joie fut extrême à boire le doux breuvage ; et il m’en redemanda :
» Donne-m’en encore de bonne grâce, et dis-moi tout de suite ton nom pour que je t’offre un présent d’hospitalité, qui te réjouisse… »
Il dit. Je lui tendis encore le breuvage couleur de feu ; trois fois je lui en offris, trois fois il but d’un trait. Quand le vin lui eut noyé l’esprit, je lui adresse ces paroles mielleuses :
« Cyclope, tu me demandes mon nom glorieux. Je vais te le dire. Mais donne-moi un présent d’hospitalité, comme tu l’as promis. Personne est mon nom. Personne, c’est ainsi que m’appellent ma mère, mon père et tous mes compagnons ».
Je dis et il me répartit aussitôt, d’un coeur impitoyable :
Personne est le dernier, entre ses compagnons, que je mangerai ; je commencerai par les autres. Tel sera pour toi mon présent.
A ces mots, il tomba, couché sur le dos ; et il resta étendu…..Alors je glissai le pieu sous un amas de cendres pour le chauffer….Quand le pieu d’olivier fut près de s’enflammer dans le foyer….je l’approchait du Cyclope….mes compagnons se tenaient auprès de moi….Ils prirent le pieu au bout aiguisé, et l’enfoncèrent dans l’oeil….
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Il poussa un hurlement terrible….
Et à grands cris il appelait les Cyclopes qui habitent les cavernes d’alentour, le long des cimes battues des vents. Ceux-ci, à son appel, accouraient de toutes parts, et debout à l’entrée de la grotte, lui demandaient la cause de ses peines :
« Quel grand malheur Polyphène te fait crier si fort dans la nuit divine et nous tirer de notre sommeil ? Peut-on te prendre tes troupeaux malgré toi ? Quelqu’un veut-il te tuer par ruse ou par force ? »
Le puissant Polyphène leur répondit, du fond de son antre :
Amis, Personne me tue par la ruse, et non par la force.
Les Cyclopes lui répondaient ces paroles ailées :
Si personne ne te fait violence, si tu es seul, c’est la maladie envoyée par le grand Zeus, et il ne nous est pas donnée de l’éviter. Alors adresse ta prière au roi Poséidon, ton père.L’Odyssée (Tome I – chant neuvième)
Homère
(Poète mythique né au 9 siècle avant Jésus Christ ? à Smirne - Ionie)
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(Article complémentaire : http://osee.unblog.fr/2009/06/15)