Tant que la terre durera 24 février
« …Elle aimait Volodia, bien qu’elle eût refusé d’être sa femme. Et elle était jalouse de celle qui avait pris sa place auprès de lui. Elle le voulait tout à elle, exclusivement à elle, malheureux ou heureux à cause d’elle..
Et Michel ? Eh bien ! lui aussi, elle l’aimait. Seulement elle l’aimait d’une autre manière, d’une manière simple, honnête et monotone. Son sentiment raisonnable pour Michel complétait sa passion folle pour Volodia.
Il lui fallait ces deux hommages contraires pour qu’elle fût satisfaite. Oui, oui, Volodia et Michel formait une seule entité qui dominait et commandait son existence. Privée de l’un, elle n’aurait pu aimer l’autre. Elle marmonnait à mi-voix, comme pour convaincre une amie invisible, assise à ses côtés :
- Tu comprends ,
Je les aime tous les deux. Je les ai toujours aimés tous les deux. Et je suis jalouse de l’un comme je serais jalouse de l’autre. Oh ! je suis un monstre, un monstre…
Puis elle revint à la croisée, Suzanne avait disparu. Par une sorte de dédoublement, elle se vit, hagarde, mal coiffée, appuyée au montant de la fenêtre. Que faisait-elle ainsi ? Qu’attendait-elle ? Après tout, cette maternité ne prouvait rien. Volodia pouvait coucher avec Suzanne et l’aimer, elle, Tania. Qui sait, peut-être, au plus fort de son plaisir, s’imaginait-il étreindre Tania, au lieu de cette petite femelle incolore ? …. »
Henri TROYAT – Temps que la terre durera (tome 1)
Henri Troyat
(Lev Tarassov dit)
est né à Moscou en 1911. Fixé en France dès 1920, il aborda la littérature en 1934 avec « Faux jour« . Grand admirateur de Dostoïvski et de TolstoÎ, tout autant que de Zola et de Balzac, il a décrit, par petites touches minutieuses, le quotidien de la vie…
notamment dans de grands cycles romanesques comme les lignes de l’extrait ci-dessus…(saga d’une famille dans la Russie avant-pendant-après la révolution Russe - extrait de ma bibliothèque, le texte est offert en 7 tomes) ….
ou La lumière des justes (1955/1962), Les Semailles et les Moissons (1953-1958), Les Eygletières (1965-1967). Entré à l’Académie Française en 1959, il jouissait d’une large audience auprès d’un vaste public..
Bons moments de détente avec un tel roman …